Trois magazines spécialisés rap en kiosque contre plus de 500 sites ou blogs spécialisés sur le même créneau. Des diffusions à 10 000 exemplaires vendus en juillet 2010 pour Rap Mag contre un million de visiteurs uniques mensuels pour le site spécialisé rap français Booska P, les chiffres ont de quoi donner le vertige.
En cinq ans, la presse rap a perdu la moitié de ses lecteurs. En comparaison, la presse rock baisse comme le reste des mensuels spécialisés, mais dans une moindre mesure (-3,5% pour Rock & Folk, -25% pour Rock One). En kiosque, il ne reste plus que le trimestriel International Hip-Hop, vendu avec un DVD de clips vidéos, et les mensuels R.A.P R&B, orienté jeune public, et Rap Mag, qui vient d’abandonner son CD où figuraient des morceaux des artistes interviewés. A la fin des années 90, alors que le rap trustait la tête des hits-parades, il existait plus d’une dizaine de magazines. Alors qu’est ce qui explique cette lente agonie ?
Le rap est une musique hyperproductive, où on cultive l’image, l’immédiateté et le débat. Lecteurs assidus de R.A.P R&B, deux jeunes de Courcouronnes (Essonne), Amadou et Fif, la vingtaine, l’ont bien compris en créant leur site Booska P, dont le nom s’inspire de Buscapé, le héros du film brésilien la Cité de Dieu. En 2005, ils ont l’idée de mettre en ligne des vidéos de rappeurs « filmés au naturel », dixit Fif. Caméra en main, ils les suivent en studio, à la création des morceaux, à la fin des concerts, dans les locaux de la radio Skyrock. Sur leurs forums, les fans suscitent, animent, parfois enveniment les joutes verbales entre artistes. Résultat des courses, ils comptabilisent aujourd’hui plus de 2,5 millions de visites mensuelles et les deux fondateurs ont réussi à se dégager un petit salaire pour poursuivre leur passion. Les fans n’ont ainsi plus à attendre la publication d’un magazine pour avoir les dernières infos, attendre le CD de Rap Mag pour avoir l’inédit de tel ou tel artiste. Tout est très vite sur les sites, et gratuitement en plus : « Même les clips, s’amuse Fif, on les a en exclu. Tourné le 20, par exemple, la maison de disques nous le passe monté le 27. Il n’y a plus d’inédit dans les mags, sauf que nous, on n’est pas du tout journalistes. » Jude, du site Bounce2dis, confirme : « Nos sites sont souvent gérés par des bénévoles, des passionnés, relativement jeunes qui écrivent en faisant beaucoup de fautes d’orthographe, résume-t-il. Nous jouons plus sur la spontanéité, l’interactivité et la vidéo. »
Les webzines plus adultes et pluridisciplinaires, comme 90BPM et abcdr du son, ont d’ailleurs cohabité pendant longtemps avec la presse rap. Avec dix ans d’existence et 2 millions de visites mensuelles dont 300 000 visiteurs uniques, 90BPM réfute l’idée qu’Internet ait tué la presse spécialisée : « On a réussi à coexister au moins pendant six ans avec l’ensemble des titres de la presse rap, explique Eléonore, la porte-parole des quatre contributeurs de 90BPM. Ce qui a tout changé, c’est l’arrivée des réseaux sociaux et leurs applications embarquées sur les mobiles. Dès qu’il y a une nouveauté, tout le monde la partage sur Facebook ou Twitter. »
« A chaque apparition d’un réseau social sur la Toile, on a vu nos ventes dévisser, reconnaît Pierre Veillet, directeur de publication de Rap Mag et de Rock One. En même temps, le lectorat rap reste un public très captif qui achète encore beaucoup de disques. Acheter un magazine est devenu un acte militant. » L’effet bénéfique ? La presse spécialisée se remet au journalisme. Ainsi Rap Mag ou International Hip-Hop proposent de longues interviews, qui ne se contentent plus de faire la promotion d’un album. Et se spécialise : vendu à 80% en province, Rap Mag essaie de mettre l’accent sur la production indépendante en dehors de la région parisienne ou marseillaise.
Source : http://www.liberation.fr/medias/01012321405-c-est-rape-pour-la-presse-hip-hop